Par Souleymane Sidibé, Mauritanie, Bordeaux, France
La récente victoire du Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye au Sénégal a captivé l’attention au niveau national et international, suscitant un examen approfondi de sa personnalité, de son projet politique et des dynamiques qui ont façonné son accession au pouvoir.
Né en 1980 à Ndiaganiao, commune du Centre-Ouest du Sénégal, le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye fait une partie de ses études au Lycée Demba Diop de Mbour où il obtient son baccalauréat en 2000. Il décroche sa maîtrise en droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar quatre ans plus tard. Il se présente au concours de l’École nationale d'administration (ENA) où il est reçu parmi les cinq premiers. Il choisit la section Impôts et Domaines, éloignée de sa passion pour la littérature. Diomaye y rencontre Birame Souleymane Diop et Ousmane Sonko, qu’il remplace à la tête du syndicat des inspecteurs.
En 2014, le président Diomaye Faye assiste comme invité aux rencontres des Patriotes Sénégalais pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité (Pastef). Ses capacités d’analyse et son esprit brillant le portent rapidement à des postes de responsabilité dans le parti, le propulsant ainsi en avant. Plongé au cœur du parti, son engouement et ses qualités susmentionnées le conduisent à la présidence du Mouvement National des Cadres Patriotes (MONCAP) puis à la tête du secrétariat national du parti en 2022 jusqu’au soir du vendredi 14 avril 2023. À cette date, il est mis en accusation. Pour l’opinion publique, cette arrestation est la conséquence de sa publication sur la toile où il évoque la « clochardisation de la justice sénégalaise ». Bassirou est déféré le lundi suivant pour « diffamation d’un corps constitué, diffusion de fausses nouvelles et outrage à magistrat ».
Son arrestation, en coup de vent, fait la une des journaux au Sénégal, perçu comme une vitrine démocratique africaine. Elle survient après celle du leader du parti, Ousmane Sonko, le vendredi 28 juillet à Dakar.
Principal opposant au régime du président Macky Sall, Ousmane Sonko, à la tête du Pastef, désigne sans réticences internes Diomaye comme candidat pour le suppléer en cas de disqualification.
Diomaye sera le candidat de la rupture ! Sa parole est alignée sur celle de Sonko, son soutien est inconditionnel, sa fidélité éprouvée et leurs parcours s’épousent : il étrennera le rouge renvoyant au sacrifice ultime et le vert de l’abondance, et sera le visage de cette espérance.
Quant au Pastef, il est avant tout une idéologie qui ne veut pas se confondre avec les partis politiques traditionnels : socialistes, communistes, libéraux et autres. L’ancrage du Pastef est le patriotisme qui met la souveraineté et l’humain au centre. L’idéologie du Pastef est basée sur le pragmatisme politique, la souveraineté tout en restant ouverte au monde via des partenariats gagnant-gagnant et la solidarité internationale. Le temps est venu pour l’action au service de la communauté et de l’intérêt général afin que « li ñëpp bokk, ñëpp jot ci » : redistribution des richesses, », signifiant que le bien commun bénéficie à l’ensemble des citoyens, prenne tout son sens.
De camarades de classe à la faculté où le combat pour « l’autorisation formelle de construction de lieu de culte » s’est imposé, à syndicalistes aux bureaux de l’administration, cette amitié d’une jeunesse entière vouée à la chose politique pense à la concrétisation de son projet, qui passe par la conquête du pouvoir. Après avoir investi le terrain politique, l’épreuve de force s’engage avec le pouvoir en place, pris d’une macrocéphalie présidentielle que d’aucuns qualifient de dictature. Les positions se raidissent et se radicalisent. Le Pastef déroule ses discours aux accents de démocratie et fait chanter sa flûte du grand soir qui fera du Sénégal une nation prospère, solidaire et ancrée dans des valeurs spirituelles et culturelles fortes. La foule est en liesse, l’adhésion des Sénégalais est massive sur l’ensemble du territoire et face à un raz-de-marée dans la diaspora. Cette dernière a été une force sociale et financière qui a toujours travaillé pour « voter et faire voter » leurs familles, parents et amis au Sénégal.
C’est à partir de 2019 que Ousmane Sonko affine puis édicte l’idéologie du parti qui consacre les valeurs de travail, d’éthique et de fraternité. Il engrange ainsi une large adhésion auprès de la population sénégalaise, en quête de changement, au fil de ses tournées et discours.
En octobre 2022, après l’adoption de nouveaux statuts du parti en janvier 2021 devenant « Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité », le parti est restructuré avec la nomination de Bassirou Diomaye Diakhar Faye comme secrétaire général et la mise en place d’un bureau politique national (BPN) provisoire pour la conquête du pouvoir en 2024.
Pastef, avec son porte-étendard Ousmane Sonko, propose un projet politique axé sur la lutte contre la corruption, la promotion de l’inclusion sociale et le développement économique inclusif et durable, écrit et relu par plus de mille-quatre-cents cadres. Ce projet a résonné avec les aspirations du peuple sénégalais pour un avenir meilleur. Soit une puissante armature idéologique et populaire la redistribution des richesses, mais aussi l’indépendance de la justice, lutte contre le clientélisme, et souveraineté.
Tandis que Macky Sall promettait de réduire l’opposition, selon ses mots, « à sa plus simple expression », le Pastef dénonçait la corruption et l’échec politique, et proposait une offre politique d’alternance et de rupture dans laquelle se reconnaît la jeunesse, dans un pays où 75 % de la population a moins de 35 ans (ANSD, RGPH 2024).
Le sang des manifestants est le ciment et le ferment de cette houle montante. La lutte contre la corruption a été au cœur des sujets de campagne. La notion de « Dynastie Faye-Sall », noms composés aux relents saoudiens, sous-entend l’empire financier présumé que la rue prête au couple présidentiel sortant, et un clientélisme marqué par des nominations familiales et politiciennes. Le duel qui prend forme sera fatal. D’une part, le camp de Benno Bokk Yakaar, dirigé par le président Macky Sall, qui a tardé à annoncer qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat avant de plaider pour un dialogue national. D’autre part, la Coalition Diomaye Président, puis un troisième acteur entre en jeu : le Conseil Constitutionnel.
Les potentielles violations constitutionnelles représentaient une menace pour la stabilité démocratique et l’État de droit au Sénégal. Dans ce contexte, la force des institutions sénégalaises, en particulier le Conseil Constitutionnel, revêtait une importance cruciale. En tant que gardien de la Constitution, le Conseil Constitutionnel a joué un rôle vital dans la préservation de l’intégrité de la Constitution et la protection des droits fondamentaux des citoyens. Malgré les pressions politiques et les défis institutionnels, le Conseil Constitutionnel sénégalais a su démontrer son indépendance et sa détermination à faire respecter la Constitution. Ses décisions ont été des remparts contre les tentatives de violation de l’ordre constitutionnel, renforçant ainsi la confiance du public dans le système judiciaire et contribuant à préserver la démocratie. Cependant, pour maintenir cette force institutionnelle, il est impératif de garantir l’indépendance et l’impartialité du Conseil Constitutionnel, ainsi que de renforcer ses capacités à traiter efficacement les cas de violations constitutionnelles. Ce faisant, le Sénégal pourra continuer à consolider son État de droit et à promouvoir les valeurs démocratiques qui sous-tendent son système politique. Cela se confirme après que le Conseil Constitutionnel sénégalais a invalidé la décision de reporter l’élection présidentielle du 25 février au 15 décembre.
Néanmoins, le candidat du Pastef, Bassirou Diomaye Faye, qui reste entre-temps en prison au Cap Manuel, bénéficie de l’amnistie. Le Sénégal, dans un tournant décisif de son histoire, démontre au monde entier, par la combativité de ses forces vives, que les humains viennent et partent, mais les institutions demeurent. À sa sortie de prison, un moment intense et fort se dessine. Le leader du parti n’a pas été devant les foules. Le président Diomaye, candidat validé par le Conseil Constitutionnel, libéré le soir du jeudi 14 mars 2024, se retrouve devant une vague de jubilation qui envahit les rues de la capitale sénégalaise à seulement dix jours avant le jour du scrutin. « Bass », comme l’appellent les plus intimes, a su incarner un mélange unique de charisme personnel et de vision politique claire. Son accent sérère authentique se remarque dans ses prises de parole.
Sonko est incontestablement l’âme de cette victoire, indissociable de son incarnation, de son charisme et de sa stratégie.
De plus, la puissance du bras de fer entre les forces vives du pays et un gouvernement aux abois a conduit à une loi d’amnistie du président sortant. Une dynamique renforcée par les intellectuels les plus emblématiques du Sénégal d’aujourd’hui tels que Felwine Sarr, Boubacar Boris Diop ou encore le Prix Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr.
Cette victoire n’est pas simplement le résultat d’une campagne électorale réussie, ni la rencontre d’un homme et de son peuple ou d’un compagnonnage ; elle est surtout le fruit d’une mobilisation sans précédent du peuple sénégalais autour du Pastef et de la Coalition Diomaye. C’est la conséquence des manifestations, des débats publics et d’un engagement citoyen massif. Le mouvement des femmes patriotes appelé MOJIP (Mouvement Jigeenu Pastef), le mouvement des enseignants de Pastef, et le mouvement des jeunes patriotes ont été d’un poids immense dans la stratégie de conquête du pouvoir. Les Sénégalais ont exprimé leur désir de voir leur pays progresser sous un leadership fort et visionnaire. Cette mobilisation populaire a joué un rôle déterminant dans le succès du Président Faye et a renforcé sa légitimité politique. Le balai en main, devenu un slogan régional en Afrique de l’Ouest, a installé dans la conscience une urgence de nettoyage systémique ». Il gagne haut-la-main contre le candidat du « système » Amadou Bâ, ancien Premier ministre, avec plus de 54 % contre 35 % officiellement.
La question d’une alliance entre le président Faye et Sonko, leader du parti Pastef, a également été au centre des discussions. Les deux partagent une vision commune de la politique et une volonté de changement radical. Le peuple sénégalais, qui abhorre l’injustice, les a rejoints. Plusieurs chants et slogans ont été créés pour cette libération politique et ce changement dans une atmosphère de maturité démocratique. Le rôle républicain de l’armée au Sénégal a également favorisé cette alternance.
Par ailleurs, il n’y a pas lieu de spéculer sur le style que le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko adopteront, ni sur les pactes qu’ils pourraient sceller face à face, conduisant à des tensions et des incertitudes.
Le pacte Sonko-Faye est scellé avec le peuple sénégalais. Leurs accords personnels passeront après. Des femmes et des hommes debout ont accordé leur confiance aux Patriotes. Il est crucial pour eux de maintenir l’unité au sein du mouvement Pastef tout en gouvernant efficacement.
Quant à savoir s’il s’agit de la victoire du Pastef ou de la défaite de Macky, il est clair que la réalité est plus complexe. Cette victoire représente à la fois un rejet de l’ancien régime, une volonté de rupture et un soutien à la vision politique portée par le président Faye. L’élection présidentielle de 2024 a été un référendum dans la mesure où, malgré 19 candidatures, le peuple a plébiscité haut la main l’offre programmatique de la Coalition Diomaye 2024, plan B du Pastef à la suite de l’élimination de son leader. Cependant, la défaite de Macky et de son parti dans une atmosphère de scission signifie la fin de leur influence politique.
Il reste à voir comment les forces politiques établies réagiront à ce changement de pouvoir et comment le président Faye parviendra, selon son cahier des charges, à la refondation des institutions, à la réduction de l’hyper-présidentialisme et à l’implémentation du projet « Jub-Jubbal-Jubbanti », soit les « 3J » en wolof, qui prône la droiture, la probité et l’exemplarité.
Très bon texte, un régal,Merci Souley