Par Gabriel Mbarga, kidjidji.com
Nous avons rencontré Cabral Libii, le leader du PCRN (Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale) lors de son escale parisienne. Celui qui se déclare d'ores et déjà candidat à l'élection présidentielle du Cameroun prévue en octobre 2025 était en tournée internationale pour la promotion de ce qui semble être son livre-programme, au titre messianique : " Ce que j'ai vu " !
Après une interview vidéo en deux séquences, intérieure et politique internationale, cette interview écrite a le dessein d'examiner en profondeur le projet politique de celui qui fut troisième à l'élection présidentielle de 2018 et qui est désormais député à l'Assemblée nationale camerounaise. Le projet et la stratégie politique de Cabral Libii questionnent une part de l'opinion camerounaise qui, à 44 ans, semble convaincu de son destin.
1/ Kjj Media : - Votre candidature à la Présidentielle, officiellement prévue au mois d’octobre 2025 au Cameroun, est maintenant connue.
Que dites-vous du caractère certain ou incertain de cette date ou même de votre propre candidature, d’abord, ensuite quel est l’état du pays, celui de l’opposition et, pour finir, quelle démarche et quel projet proposez-vous aux Camerounais ?
Cabral Libii : De prime abord, je vous remercie chaleureusement de l’opportunité que vous donnez à l’homme politique que je suis, de décliner ses idées au sujet du Cameroun, la terre de ses ancêtres. Au sujet de la date de l’élection présidentielle, si le jour est imprécis, la période est connue de tous et les dates y afférentes sont faciles à identifier. Il faut préciser que l’élection présidentielle est constitutionnellement insusceptible d’anticipation ou de prorogation. Elle aura donc immanquablement lieu en 2025. L’indication de la période électorale est donnée par les stipulations de l’article 6(3) de la Constitution : « L’élection a lieu vingt (20) jours au moins et cinquante (50) jours au plus avant l’expiration des pouvoirs du Président de la République en exercice. ». Le Président en exercice a prêté serment le 6 novembre 2018. Son mandat expire donc le 6 novembre 2025. Ce qui veut dire que l’élection présidentielle au Cameroun aura lieu entre le jeudi 18 septembre 2025 et le samedi 18 octobre 2025. Puisque le corps électoral est systématiquement convoqué les dimanches depuis la première élection multipartiste de 1992 et 90 jours avant la date du scrutin, il y a potentiellement (si la pratique du dimanche est maintenue), quatre dimanches dans la période indiquée : le 21 septembre avec convocation du corps électoral le 24 juin, le 28 septembre avec convocation du corps électoral le 1er juillet, le 5 octobre avec convocation du corps électoral le 8 juillet, et le 12 octobre avec convocation du corps électoral le 15 juillet 2025.
En ce qui concerne le pays en lui-même, il est à l’évidence en état de blocage et d’étouffement. Blocage lié à l’impéritie, à l’incurie et à l’inertie qui caractérisent désormais l’ordre gouvernant. Il y a longtemps que le serpent s’est mordu la queue et que le pouvoir quarantenaire ne se renouvelle plus. Seule la corruption systémique lui sert désormais d’oxygène. Quant à l’opposition, elle essaie de retrouver un nouveau souffle. Etant restée elle-même articulée autour de quelques figures historiques du début des années 90, elle sort peu à peu de son essoufflement avec l’avènement de nouveaux leaderships incarnés non plus par les transfuges du parti unique, mais part des personnes et des idées neuves. L’élection présidentielle de 2018 et les élections législatives et municipales de 2020 ont servi de rampe de lancement à une nouvelle classe politique qui face aux échéances de 2025 (présidentielle) et 2026 en principe (législatives et municipales) doivent relever les défis de mobilisation et de participation électorale d’un peuple qui a sombré dans la léthargie et la résignation, mais aussi le défi de la mutualisation des actions pour se donner davantage de chances de venir à bout d’un pouvoir qui a su sophistiquer la fraude électorale. Ce qui justifie mon choix d’inscrire le parti politique que je dirige depuis mai 2019, le PCRN (Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale), dans une plate-forme composée d’une quinzaine de partis politiques et associations de la société civile, dénommée ATP (Alliance pour la Transition Pacifique). Du reste, la dynamique politique dont je suis le leader est porteuse d’une offre politique dénommée : Manifeste de la rupture et du progrès. Elle été rendue publique dans un ouvrage dont le titre principal est « Ce que j’ai vu ! », en août 2024.
2/Kjj Media : - La forme actuelle de l’État unitaire en vigueur au Cameroun n’emporte pas votre adhésion, vous l’avez fait savoir à plusieurs reprises… Pouvez-vous nous expliciter ici votre concept d'un Fédéralisme adossé sur la géographie humaine et culturelle du Cameroun ?... Dès lors s’agira-t-il d’un régime de représentation parlementaire indirecte, autrement dit, quelle articulation et répartition des pouvoirs entre l’État central incarné par le Président de la République et les pouvoirs régionaux ?
Cabral Libii : Sans la moindre fioriture, notre idéologie, c’est-à-dire, notre modèle de représentation et de projection du Cameroun, c’est le fédéralisme communautaire. Le Cameroun est une mosaïque de peuplements. Ce qui lui vaut d’ailleurs la fière appellation d’« Afrique en miniature ». Et un tel État, pour libérer les énergies de son assise plurielle, doit en être l’émanation et le reflet. Ceci, afin que les énergies de son peuple ne soient pas centrifuges (tendant à s’éloigner du centre), mais plutôt centripètes (tendant à se rapprocher du centre). De la pluralité démotique (terme qui dérive du grec démos qui signifie peuple), doit germer une culture républicaine hébergée par un État qui fédère. Pour que nous nous y reconnaissions tous, l’État doit être le fruit de ce que nous apportons tous. Ce d’autant qu’avant que le territoire sur lequel nous sommes ne soit circonscrit et baptisé par d’autres, nous étions déjà là. Cet État qui s’est posé sur nous, doit donc nous fédérer.
En fait, il est évident pour tous que c’est de la doctrine dénommée fédéralisme que dérive l’adjectif épithète habituellement attaché au sujet de droit public appelé État. On parle alors d’État fédéral. Mais l’erreur habituellement commise est de n’accorder de l’attention au saisissement de la notion de fédéralisme que sous le prisme juridique. L’État dit fédéral, n’est que l’une des déclinaisons du fédéralisme dont le champ doctrinal est de loin plus vaste. Il y a des États tel que l’Espagne, un pays d’Europe occidentale, qui bien que ne se faisant pas constitutionnellement désigner États fédéraux, appliquent le fédéralisme.
La plupart des Etats qui, à leur naissance ou au cours de leur construction, devaient relever le défi de la diversité de leurs peuplements ont convoqué la doctrine fédéraliste. C’est elle qui convient le mieux aux contextes de diversité sociologique. Les formes et les appellations peuvent différer par la suite, mais l’essence structurelle est la même. Le Cameroun au regard de sa physionomie sociologique originelle aurait dû emprunter la même voie de pensée structurante. Cette omission a été un vice de fabrication qui depuis lors, provoque un enchainement de pannes de roulement. Le choix strictement unitaire à l’avènement de l’indépendance, n’était guère idéologique, si oui, une idéologie impropre à notre contexte. Il semble qu’il s’est davantage agi de construire dans l’urgence, un édifice juridique et institutionnel qui ne visait qu’à répondre aux attentes postcoloniales de standardisation des africains.
Il y a pourtant une quasi-unanimité planétaire, sur l’idée que le fédéralisme induit un mode d’organisation politique qui vise à concilier l’unité et la diversité, la cohésion sociale et les choix sociaux singuliers, au sein d’un espace partagé. Le fédéralisme est d’abord une idée de l’État, avant de devenir une formalisation normative et institutionnelle de l’État. Nous saisissons donc le fédéralisme sous le prisme du but et de la finalité, plutôt que sous celui des normes.
Quant à l’articulation du fédéralisme à la communauté, il faut d’emblée rappeler que la question communautaire au Cameroun est particulièrement disputée, et beaucoup s’en servent comme épouvantail. Quand pour certains c’est un monstre qu’il ne faut surtout pas déchaîner, pour d’autres, c’est un sujet suranné auquel il est futile de porter le moindre intérêt aujourd’hui, notamment parce qu’il n’aurait aucune emprise sur le quotidien des gens. Ce débat est en lui seul une hypocrisie paradoxale. En choisissant même de faire l’impasse sur les multiples diatribes communautaires qui sévissent au Cameroun, nous ne pouvons ne pas rappeler qu’il y a longtemps que la communauté a accédé au rang de sujet de droit dans notre pays, puisqu’elle peut revendiquer la propriété ; la « forêt communautaire » consacrée par la législation forestière, en est la parfaite illustration. Pour en rajouter à l’étonnement, le 2ème Président du Cameroun encore en exercice, Paul BIYA en a fait en 1987, le pilier de son projet politique intitulé Pour le libéralisme communautaire. Il est vrai que le contenu de l’ouvrage n’a paradoxalement pas tenu la promesse des belles fleurs de l’intitulé, car les contours exacts de la déclinaison communautaire du libéralisme sont restés introuvables en son sein. Peut-être l’auteur avait-t-il été intimidé par l’hostilité qui s’emploie depuis longtemps, à stigmatiser la communauté, à la discréditer, à la rendre politiquement incorrecte.
Nous ne confondons pas l’ethnie à la communauté, la particule à l’ensemble, mais nous partageons le refus de négation d’une réalité qui « crève les yeux », et faisons le choix de l’objectiver. L’intégration nationale qui est la finalité que nous assignons à l’État, n’est ni la négation des différences, ni l’effacement des identités. Pour accomplir notre vision de protection et de libération des énergies, l’État camerounais doit être fédérateur en tout temps et en toutes circonstances, de son socle identitaire qu’est la communauté. l’objectif de préservation de l’unité ne doit en aucun cas reléguer au second plan l’impératif de préservation de la diversité. Car en effet, le déclenchement décisif du développement par le bas au Cameroun, passe par la reconnaissance constitutionnelle et administrative de la communauté. C’est la solution la plus efficace dans l’optique de déclenchement de la prospérité. Non seulement la nouvelle région aura le mérite d’effacer définitivement les irrédentismes bellicistes de la domination franco-britannique et de réconcilier les camerounais avec eux-mêmes, mais surtout elle permettra à la collectivité nationale de tirer le meilleur du savoir-faire culturel, traditionnel, ancestral, agricole, technique et intrinsèque de chaque communauté. Partant du constat que le découpage des communes et des départements a été gouverné par une relative prise en compte des communautés, nous proposons qu’on s’en serve comme point de départ. La première chose à faire au Cameroun est l’élimination de dix (10) régions artificielles qui existent. Il est très pénible, voire impossible, d’en déterminer la pertinence en dehors de la désignation des seuls points cardinaux. En revanche, le découpage des communes et arrondissements, puis des départements, suit une logique anthropologique et sociologique. D’ailleurs, les dénominations en témoignent aisément : Nyong et kelle, Mvila, Koung-khi, MayoDanay, Koupe Manengouba, Lom et Djerem, Nkam, etc., pour les Départements. Certaines Communes et Arrondissements portent simplement les noms des ethnies (Douala, Bafia, Bafoussam…). Tout porte à croire que les régions ont été instituées pour masquer cette implacable réalité. Mais à quelle fin ? La « ruse constitutionnelle » a même entaché les élections dites régionales, qui ne sont rien d’autre que des élections départementales, puisque la circonscription électorale est le département. Pourquoi la Collectivité territoriale appelée région n’a d’existence que par les délégués départementaux qui y siègent ? N’était-il pas judicieux de laisser chaque département s’autogérer ? Plus grave, cette forme de région entretient la survivance symbolique du clivage colonial et culturel historique sous lequel se sédimente la crise dite anglophone qui déchire le Cameroun.
Notre réforme consiste à transformer tous les Départements en Régions. Puis à procéder à un réexamen des lignes de démarcation des nouvelles régions en agglomérant les départements géographiquement voisins, sociologiquement et anthropologiquement affinitaires.
Kjj Media : - Quel est votre modèle économique pour le Cameroun et votre vision pour l’Afrique, avec son Franc CFA et les puissances qui lui tournent autour en même temps qu’elle s’englue dans son économie administrée héritée des Indépendances : êtes-vous un libéral ? Quelle est votre voie et comment comptez-vous protéger les plus faibles de notre société ?
Cabral Libii : Notre projet de création de richesses et d’emplois vise à transformer radicalement le Cameroun par la libération des énergies. Il repose sur six (06) leviers économiques à savoir : le multiplicateur industriel, l’incitation à la propriété, l’optimisation des services et de l’économie numérique, l’amélioration du climat des affaires, le sport et la diaspora. Ces leviers conjugués à un système éducatif décolonisé et investi d’une mission claire, génèreront en Cinq (05) ans, au moins trois (03) millions d’emplois pleins et décents. Contrairement aux idées reçues, il n’y a absolument aucune richesse effective dans l’abondance des matières premières. Si c’était le cas, des pays n’en possédant pas, ne seraient pas des puissances économiques et industrielles (cas du Japon). La richesse la vraie, ne s’acquiert que lorsque la connaissance, la science et la technologie, permettent de donner de la valeur ajoutée à une ressource naturelle matérielle telle que la grume de bois, ou immatérielle telle qu’un rythme musical, en la transformant et lui donnant une forme qui satisfait un besoin de consommation qui existe ou que l’on créé. Et c’est ainsi que les énergies se libèrent. Le Cameroun, indépendamment des ressources naturelles qu’il posséderait ou pas, doit être appelé un jour, l’«Usine africaine ». En effet, comme l’a écrit l’économiste norvégien Erik REINERT : « Entre les matières premières et le produit fini se trouve un multiplicateur : un processus industriel exigeant qui crée des connaissances, de la mécanisation, de la technologie, de la division du travail, des rendements croissants et – par-dessus tout – de l’emploi pour les masses de sousemployés et de chômeurs qui ont toujours été le lot des pays pauvres ». Plus d’un demi-siècle après l’indépendance politique, le Cameroun doit prendre radicalement le virage de l’industrialisation, marquée par une course effrénée vers la transformation et la production de produits manufacturés et marchands destinés d’une part, à satisfaire autant que possible la consommation domestique, et d’autre part à la concurrence mondiale, donc à l’exportation, via un dispositif moderne et rigoureux de contrôle-qualité garantissant la compétitivité de nos produits. La cerise sur le gâteau est que notre pays peut dans cette perspective, se prévaloir d’abondantes ressources naturelles dont les chaines de valeurs respectives, doivent être structurellement articulées sur de grands groupes industriels reposant sur un socle densifié de PME.
Pour ce faire, notre idéologie déclinée plus haut s’ouvre volontiers à plusieurs courants de pensées d’ici et d’ailleurs. En dehors de l’anthropologie anarchiste avec laquelle nous ne pouvons pas conjuguer parce qu’elle prône une forme d’organisation de la société sans État, notre approche fortement empreinte de retour aux sources, ne peut ne pas puiser abondamment dans la pensée africaine universiste et cosmologique, selon le modèle étatique traditionnel et axiocratique, que diffuse admirablement MBOG BASSONG. Pour lui, l’organisation politique doit procéder « d’une régulation par l’essence, c’est-à-dire qu’elle privilégie une approche holistique (le Tout est pris en compte) et systémique (le Tout constitue un système avec des contrôles et rétrocontrôles à toutes les échelles d’organisation) ; tout doit être en équilibre, conformément au principe d’ordre universel ». Selon sa perception, l’État a vocation à être un « ensemble étatique multinational et multiculturel. Seule cette approche de type systémique, avec intégration des unités de bases que sont les chefferies, peut conduire à une intégration nationale véritable ». Nous sommes également enrichis de la doctrine de l’afrocentricité diffusée par Ama Amazama, « paradigme philosophique qui met l’accent sur la centralité et la capacité de l’africain à prendre le contrôle de son histoire et de sa culture », dans l’optique de « nous remettre à notre place, c’est-à-dire, au centre de notre propre réalité, et recouvrer notre propre voix ». Nous faisons aussi des emprunts auprès de deux grands systèmes de pensée du paradigme occidental que sont : le libéralisme et le socialisme. Il est d’ailleurs opportun sur ce dernier point, de faire des précisions utilement justificatives. Nous ne faisons pas l’autruche devant la pensée du philosophe et économiste écossais Adam SMITH, fondateur du libéralisme, notamment lorsqu’il affirme : « chaque individu (…) ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler ». L’africain que nous sommes, moulé à l’idée de solidarité ne partage pas entièrement cette perception de l’humain qui est d’ailleurs discutée en économie. En Afrique, l’individu est fondamentalement soudé au groupe social auquel il appartient. C’est pourquoi notre projet économique se fonde sur la territorialisation communautaire. Néanmoins nous ne pêcherons pas par naïveté en ignorant la séduction et les transformations que d’autres modèles exercent sur l’africain. De plus, notre postulat est que, le rôle de l’État est aussi de libérer les énergies individuelles qui vont générer la prospérité. Nous empruntons donc au libéralisme, l’encouragement à l’initiative innovante et personnelle, à l’innovation et à la propriété, tout en sachant bien que le progrès ne peut être laissé à la merci de la seule initiative privée. C’est pourquoi notre flirt avec le libéralisme n’induit pas de lever toutes les limites à la marchandisation des rapports humains et à l’agression de la nature. Elle est donc loin de nous, l’idée d’un libéralisme outrancier du genre ultra, qui minore le rôle de l’État en le réduisant au statut de gendarme devant des intérêts privés. Dans le contexte camerounais, au regard de la profondeur du fossé des inégalités et des retards multiples qui ont ramolli le potentiel de nombreux citoyens, l’État doit incarner l’équité et être protecteur planificateur. Il doit être un abri sûr et faire du milieu de vie un lieu sûr. Cette vocation prend un relief particulier en ce qui concerne les questions de durabilité. C’est le lieu de rappeler que le paradigme africain est fondamentalement respectueux de la nature, et donc traditionnellement écologique. Et pour nous, le cadre de vie de l’humain est écologiquement primordial. De ce point de vue, l’on pourrait nous trouver à la rigueur, de lointaines affinités avec le colbertisme...
L’État, en assistant les faibles et les désemparés, doit aussi servir d’appui et de rempart aux plus forts et aux plus entreprenants. L’État se place ainsi au cœur du dispositif. Il est arbitre, mais aussi l’entrepreneur, le secours, le recours, le garant de l’intérêt général tel que vu par le socialisme. C’est surtout le distributeur équitable de la richesse nationale. Toutefois, nous sommes conscients du caractère inconséquent et inhibant d’un alignement sur un socialisme exacerbé, imbibé de communisme, prônant un étatisme et un dirigisme anesthésiants. Nous croyons en l’État qui libère le génie personnel vertigineux, mais nous croyons également en l’État gardien de la collectivité qui génère de la richesse et qui veille à l’équité, nous croyons en la conciliation entre l’économie libérale et la société collective dans un équilibre humanisant. Notre État sera, en définitive, un État africain, qui tire principalement sa force des énergies que libèrent ses communautés qu’il prend le soin de fédérer. C’est l’État qui protège l’humain, les valeurs de la tradition, qui libère le génie créatif et entrepreneurial et qui place Dieu au centre de tout. Comme le dit Moussa KONATE « la grandeur des africains consistera à prouver que l’homme n’est pas condamné à choisir entre le développement et la solidarité : le vrai développement place l’homme au centre de son projet, il est respectueux de son environnement, ne voue pas un culte à l’accumulation de biens matériels et ne fait pas de la vieillesse un épouvantail ou un délit ».
Un État qui ne protège pas, n’en n’est simplement pas un ! La protection qui est donc la première raison d’être de l’État, oblige celui-ci à offrir un certain nombre de services administrés, consistant à faire obstacle à la misère, à soigner la maladie, à fournir un abri et de quoi vivre. Voici d’ailleurs un point où l’histoire de la colonisation aurait pu être d’un apport déterminant. On aurait pu hériter de la France, l’un des meilleurs modèles de sécurité sociale au monde. Son système qui fait envie en Afrique et ailleurs, est né en 1945 quand tout était à reconstruire après la guerre. Au Cameroun, nous en sommes là. Tout est à reconstruire. Bien avant la France, de l’Allemagne notre premier colonisateur, nous aurions pu nous inspirer de Otto Eduard Léopold Von BISMARCK. Il a donné son nom à un certain type de protection sociale : le genre bismarckien. L’appellation désigne des systèmes d’assurances sociales rattachées au travail. Le travailleur et sa famille sont protégés par des assurances obligatoires, financées par des cotisations assises sur des revenus d’activités et gérées, dans des caisses autonomes de l’État, par des partenaires sociaux. De la Grande-Bretagne nous aurions pu emprunter à William Henry BEVERIDGE sa plus fameuse contribution, le rapport Beveridge de 1942. Il y recommande des interventions publiques afin de combattre les cinq grands maux de l’histoire : la maladie, l’ignorance, le besoin ; la misère et l’oisiveté. Pour protéger les citoyens « du berceau à la tombe », et pour « mettre l’homme à l’abri du besoin », il pose trois grands principes (les célèbres trois « U ») : l’Universalité (une couverture pour tout le monde), l’Uniformité (une aide identique à tous), enfin l’Unicité (une administration gestionnaire unique) ». Le Cameroun doit radicalement passer de la prévoyance sociale à la Protection sociale, donc du facultatif à l’obligatoire. Notre posture n’est pas de l’assistance puisqu’elle est contributive. Ce n’est pas non plus la consécration l’assurance privée, puisqu’il s’agira de prélèvements obligatoires de cotisations en fonction non pas du risque couvert, mais des moyens de chaque contributeur. C’est un service public qui a vocation à protéger chaque camerounais contre les risques de l’existence, à chaque étape de sa vie. Par ailleurs parce que notre projet de société vise l’éradication de la corruption, nous sommes conscients que la précarité de l’humain sera toujours la principale porte d’entrée de la corruption. Combattre la corruption exigera donc toujours de mettre l’humain autant que faire se peut, à l’abri de cette précarité. Et la sévérité de la répression devra se situer dans le prolongement des mesures conjuguant la redistribution équitable de la ressource publique, l’octroi des rémunérations garantissant la dignité, et la protection sociale. En somme, ce n’est pas la répression toute seule qui mettra fin à la corruption. Mais plutôt une répression chevillée à une protection sociale efficace.
Concernant la question monétaire, le « franc cfa » peut à juste titre être considéré comme un carcan économique historique dont il indiqué se libérer. Il n’y a en réalité point de mystère en la matière, soit entre africains nous trouvons une issue, ce à quoi devrait donc servir le leadership économique si souvent invoqué du Cameroun en zone CEMAC, soit alors le Cameroun s’affranchit pour avoir sa propre politique monétaire en s’octroyant une monnaie souveraine et en instituant sa Banque Centrale. En fait le poids territorial, démographique et économique du Cameroun, et les moyens dont il dispose, lui permettent d’exercer une influence efficace en termes économique et diplomatique dans la sous-région. En effet, sortir de la zone franc ne signifie pas sortir de la CEMAC. La perception que nous avons d’ailleurs de la communauté renvoie au vivre-ensemble dans la diversité, y compris la diversité monétaire. L’attachement à cette doctrine de la diversité en communauté, nous commande plutôt de nous libérer de la convention régissant l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) adoptée en 2008 en remplacement de celle de 1996, dont les stipulations de l’article 3 sont les suivantes : « l’union monétaire se caractérise par l’adoption d’une même unité monétaire… ». En adoptant une unité monétaire propre, le Cameroun peut négocier son nouveau positionnement au sein de la CEMAC avec les autres États membres. Cette négociation pourra aboutir à une nouvelle convention monétaire les liant entre eux, différente de celle du 23 novembre 1972 qui continuera éventuellement à lier les autres États membres de la CEMAC de la zone CFA.
La nouvelle posture du Cameroun au sein de la CEMAC, pourrait également lui ouvrir de nouvelles perspectives de négociations d’accords commerciaux avec les pays de la CEEAC comme l’Angola, la RDC, ou encore avec le géant voisin qu’est le Nigéria. Il est donc évident pour tous qu’un tel basculement stratégique ne saurait se réduire à un affront d’émancipation vis-à-vis d’un autre État, fût-il ex-colonisateur. D’ailleurs dans nos nouvelles perspectives économiques, le nouveau paradigme que nous proposons, n’empêche absolument pas la France de demeurer un partenaire économique important. Nos pays sont suffisamment « grands » et le sujet monétaire suffisamment important, pour s’inscrire dans un registre de « revendication des droits d’adulte ». Il y a plus de 50 ans que le Cameroun a franchi ce cap, ce débat est donc hors d’époque.
En sortant de la zone franc en solitaire, il faudrait juste avoir pris la bonne mesure des implications de ce choix. Et sur ce point, les travaux de l’économiste camerounais, le Professeur TOUNA MAMA retiennent notre attention. Après avoir évalué les implications d’une sortie solitaire de la zone franc, il arrive à la conclusion selon laquelle « les coûts d’une sortie solitaire étant (…) bien plus élevés que les avantages, cette option ne saurait donc être encouragée ni conseillée aux autorités du pays». Dans la même veine, le célèbre ingénieur statisticien Dieudonné ESSOMBA, ayant étudié la question affirme qu’en « définitive, il n’existe pas de réforme interne de la Zone Franc susceptible de réduire la contrainte qu’elle fait peser sur les Economies africaines (…) de toute évidence, les pays de la Zone ne peuvent trouver de salut ni dans la sortie du CFA, ni dans une réforme interne du dispositif ». Il poursuit en arguant que « l’adoption d’une monnaie souveraine pour un pays qui n’a pas d’industrie aboutit toujours, soit au délitement de son système monétaire (Zaïre, Zimbabwe) si le pays s’acharne à jouer sur la politique monétaire, soit à une situation d’austérité permanente analogue au CFA (Ghana, Mauritanie). La mise en place d’une monnaie souveraine dans un pays de la Zone CFA ne peut être une solution avec leur niveau de développement actuel. (…) Les bénéfices à tirer d’une monnaie souveraine apparaissent ainsi beaucoup trop faibles par rapport au CFA, car au risque de gouvernance et de manipulation de la monnaie s’ajoute la perte d’un instrument qui, nonobstant ses défauts, a stabilisé les économies et servi de socle à de multiples organisations transnationales ».
Nous sommes en rupture avec ces idées reçues et n’épousons point les sentences respectivement défaitiste et pessimiste de TOUNA MAMA et de Dieudonné ESSOMBA respectivement. Par la volonté et le courage politiques adossés sur une planification économique et industrielle, on peut parvenir à la souveraineté monétaire. Nous réfutons fermement l’impotence atavique des Pays de la Zone Franc (PZF) à s’émanciper économiquement. Néanmoins nous sommes édifiés par l’appel à la prudence que lance le premier, et nous pensons qu’une réflexion approfondie peut être faite au sujet de la solution méthodique originale que suggère le second et qu’il nomme « monnaie-Trésor ». Cette proposition qui s’inspire des expériences de binarisation monétaire observées entre autres, à New-York aux USA avec l’Ithaca Hours, en Bavière en Allemagne avec le Chimgaeur, en Suisse avec le Wir ou encore au Pays-basque français avec l’Eusko, nous paraît adaptée et pertinente dans le contexte camerounais.
Ainsi, en créant une unité monétaire spécialement dédiée aux produits locaux, nous protégeons le pouvoir d’achat et boostons la consommation du made-in camerounais, que nous comptons développer par notre politique du multiplicateur industriel. Car en effet, il est impossible de créer un cercle économique vertueux, si l’augmentation nominale du pouvoir d’achat fait automatiquement un appel d’air à l’importation frénétique, par la consommation de produits manufacturés provenant de l’étranger. Ça s’apparente à une préméditation de la saignée financière.
En définitive ce qu’il faut retenir est qu’en sortant de l’UMAC (l’Union Monétaire d’Afrique Centrale), il faudra envisager des négociations pour perpétuer l’harmonisation douanière, et redéfinir la coopération monétaire afin d’avoir un statut analogue à celui de la Suisse vis-à-vis de l’Union Européenne ou de la Suède qui ont leurs propres monnaies au sein de l’UE. Il est tout à fait envisageable que les ressortissants des États membres de la CEMAC continuent à effectuer directement des achats avec le XAF sur le sol camerounais, en se faisant rembourser en monnaie souveraine nouvelle. L’intégration économique est traditionnellement graduée en 5 étapes à savoir la zone de libre-échange (suppression de droits de douanes entres pays membres), l’union douanière (Tarif Extérieur ou Douanier commun, TEC-TDC, vis-à-vis des pays non-membres), le marché commun (libre circulation des biens, des capitaux et des hommes), l’Union économique (politiques économiques communes) et l’union monétaire (monnaie commune). Il est évident que les Etats de la CEMAC se sont inscrits dans la coopération monétaire en 1972, en brûlant les étapes. En révisant cette coopération monétaire entre le Cameroun et les autres Etats membres, rien n’empêchera que les précédentes étapes de l’intégration soient consolidées. En outre, il faudra faire une bonne estimation du coût des changements des instruments financiers notamment bancaires ; il faudra bien intégrer que les marges d’approvisionnement en réserves de changes se réduiront automatiquement une fois que nous aurons quitté le système du compte d’opérations logé au trésor français et que le pays ne devra compter principalement que sur ses exportations pour assurer le paiement en devises de ses transactions internationales ; il faudra bien évaluer les coûts des transactions liées à la convertibilité de la nouvelle monnaie ; il faudra également bien calculer le risque d’une perte en gain en capital des entreprises camerounaises installées dans les autres pays de la CEMAC. C’est au regard de tout cela que la souveraineté monétaire telle que nous la concevons, doit s’articuler à un projet d’industrialisation. La monnaie sert dans un pays qui s’industrialise, à alimenter le tissu productif, afin entre autres, d’avoir un niveau d’exportations susceptibles de préserver notre capacité à assurer en devises le paiement de nos importations éventuelles. Et pour créer de la richesse, il faut un cadre endogène propice qui est lié, à la politique économique, à la politique industrielle, à la politique d’investissement, à la politique de travail, à la rigueur dans la gestion des finances publiques, à la confiance institutionnelle, à la crédibilité internationale, à l’éducation, à l’acquisition des savoir-faire, à la bonne gouvernance, etc.
Kjj : - Quelle est la place de l’Histoire du Cameroun dans votre projet de société, entendu que chaque peuple doit devenir maître de sa mémoire, de ses héros et martyrs de même que de ce qu’il transmet aux générations futures, principalement, par le biais de l’École ?
Cabral Libii : Il urge de décolonialiser le système éducatif camerounais. Rendu en 2024, la question coloniale en lien avec l’éducation, peut paraître superflue pour certains. En fait, la colonisation ne s’est pas contentée de spolier les ressources. Elle a assujetti les esprits. Et par l’enseignement, le camerounais comme d’autres africains, a subi une véritable mutilation socioculturelle et historique. Il a été transformé en un méprisable mendiant et imitateur culturel, imitation qui a été érigée en système. Cet état de chose sur la durée, a généré principalement deux types de personnalités africaines : l’infantilisé atavique, imitateur servile, et le révolté qui se bat coûte que coûte pour être respecté par le blanc. Cette dernière catégorie d’africains prônent parfois le retour aux sources africaines avec une véhémence qui pourrait laisser penser à une vie en vase clos. Nous pensons que cette voie n’est pas pertinente. La prise de conscience africaine doit justement nous pousser à partager avec le monde la richesse africaine enfouie depuis si longtemps. Nous voulons donc construire un système éducatif qui moule un camerounais qui s’accepte, s’affirme et innove, en le sortant du carcan du complexe d’infériorité et en lui inculquant la pensée créatrice. C’est pourquoi la seule perpétuation des bourses d’études occidentales en faveur de nos meilleurs élèves, est perçue par nous, comme la survivance d’une emprise impérialiste scandaleuse, dont il faut se départir avec empressement. Car, si le colon avait eu pour objectif d’inculquer une véritable éducation supérieure au colonisé, on aurait vu fleurir les universités en Afrique avant les indépendances. Et les universités créées après les indépendances, à l’instar de celle du Cameroun née en 1962, avaient pour vocation unique de fournir des cadres aux nouveaux Etats indépendants, selon les stipulations même de la Loi cadre de Gaston DEFFERE, votée en France le 23 juin 1956. Ainsi, l’approche éducative de stockage des connaissances impropres à la transformation de la société, est typiquement d’essence coloniale. Elle génère de nombreux diplômés qui ne servent qu’à exhiber leurs impressionnants parchemins dans un environnement où on importe même des objets les plus banals. L’idée reçue postcoloniale selon laquelle les apprenants les plus brillants devaient faire des études générales tandis que les moins brillants devaient faire des études techniques, a si durablement plombé notre système éducatif à un point qu’en 2024, la seule possibilité qui est donnée aux bacheliers de l’enseignement technique de faire des études supérieures et d’ingénierie, est de passer un concours (Polytechnique, École des travaux publics, Faculté de Génie mécanique, IUT etc.). En revanche, tous les bacheliers de l’enseignement général accèdent automatiquement dans des dizaines de filières réparties dans dix Universités d’Etat qui déversent « dans la rue » années après années, d’innombrables « savants » bon à rien pour la plupart, contraints de se recycler pour intégrer le marché productif. Ça n’en donne pas l’air, mais c’est la conséquence d’une politique inconséquente qui a construit la perception de l’emploi public, comme le levier essentiel du progrès social. Les nombreux diplômés étant destinés à alimenter l’appareil d’État postcolonial et non à innover. Ainsi au fil du temps, la saturation progressive des postes à pouvoir dans le secteur public et la disparition ou l’amoindrissement des situations de rente dans certaines professions réputées libérales, ont déprécié la valeur d’échange et la valeur de signe des diplômes universitaires dans les disciplines classiques. le Cameroun est un pays sous-industrialisé. Et pour rattraper le retard d’industrialisation, l’éducation doit former massivement des techniciens, des ingénieurs et des managers capables de gérer les PME et les groupes industriels. Cette exigence commande une refonte du système éducatif, que ce soit le segment primaire et secondaire qui est régi par une loi d’orientation qui date de 1998, ou le segment supérieur qui est quant à lui régi par une loi d’orientation particulièrement inadaptée, adoptée en 2023.
Quant à notre patrimoine est incontestablement l’espace de la continuité sociale. Le passé s’y trouve, le présent se vit et le futur s’y construit. C’est l’élément qui forge notre personnalité. En l’état actuel sans notre patrimoine, nous sommes condamnés à devenir des aliénés, notre civilisation est condamnée à la disparition totale si rien n’est fait. Les chiffres raisonnent (environ 250 langues, autant de sites touristiques) mais à regarder de près, et en parcourant nos villes et villages on se rend vite à l’évidence que : des bâtiments et monuments qui portent notre histoire sont en décrépitude. Ces lieux de mémoire sont parfois ignorés du grand public et en majorité des jeunes. Ces éléments censés attirer du monde manque cruellement d’attractivité et de rentabilité. Beaucoup parmi nous n’arrivons plus à transmettre nos langues maternelles à nos enfants. Celles-ci disparaissent au profit d’autres langues. Notre système éducatif peine à intégrer nos langues au cœur de notre système éducatif. Ce précieux patrimoine immatériel est le socle même de notre identité. À quelques exceptions près dans le grand Nord, au Sud, au Nord-ouest et à l’Ouest, nos sites traditionnels jadis symboles de pouvoir, d’originalité, de préservation de nos acquis et gage de la continuité de nos valeurs ancestrales sont devenues au mieux, de simples décors gangrenés par des luttes intestines, au pire ils sont abandonnés. Comment peut-on expliquer que la grotte de Ngog Lituba située dans la commune de Nyanon, lieu mythologique des origines des peuplements Bakoko, Bassa et Bati n’ait pas été sanctuarisée et transformée en lieu de pèlerinage de réputation internationale ? De ce fait, le caractère sacré des pratiques ancestrales, des forêts, des traditions, ne résiste plus à l’usure du temps. Notre patrimoine naturel (sites touristiques et parc nationaux) est le lieu de la débrouillardise sans réel impact économique. Nos musées et autres lieux d’exposition ne brillent que par leur isolation, leur manque de fréquentation. Beaucoup de nos objets de valeur se trouvent dans des musées à l’étranger. Comme le dit si bien l’universitaire muséologue Hughes HEUMEN parlant du Musée national « le musée doit s’ouvrir en s’appropriant les expériences réussies ailleurs, tout en tenant compte des spécificités du Cameroun en vue de toucher d’autres publics. La conquête et la fidélisation des publics passent d’abord par des conditions matérielles : horaires, tarifs, accueil, réseau de relais (dans les entreprises par exemple). Elles passent aussi par la médiation ; interface entre le musée et le public, notamment celui issu de la ‘’communauté locale ‘’ qui doit être la cible ».
La gastronomie camerounaise n’est pas en reste, pendant que les plats occidentaux se vendent à prix d’or dans des restaurants VIP, les mets de chez nous continuent de se vendre en bordure de rue sans réelle influence sur le plan économique.
Notre survie dépend de la conservation de notre patrimoine. Nous avons urgemment besoin des éléments d’ancrage, des éléments de fierté. Bref nous devons préserver nos identités tout en créant un cadre de préservation et de capitalisation socio-économique de notre patrimoine. Notre vision de la préservation et de la rentabilité du patrimoine vise à : La mise en place d’une véritable politique de protection de nos archives et de nos savoirs ; La construction des Instituts de langues nationales ; L’obligation d’apprentissage par les élèves des langues présentes dans chaque commune ; La construction d’un conservatoire du patrimoine (héros nationaux) car notre pays à besoin de références ; Le développement des métiers du patrimoine pour une bonne rentabilité ; Le développement d’une économie du patrimoine dans les différents secteurs : tourisme, gastronomie, musée, etc. ; l’érection et la valorisation des lieux de mémoires.
La question des archives jusqu’ici n’a pas constitué une priorité pour le gouvernement camerounais, et c’est étonnant. Et pourtant, les archives sont le moyen d’assurer la souveraineté de l’État et l’identité nationale. En 1952, la France avait constitué un service d’archives au Cameroun, mais les Archives nationales camerounaises ont véritablement été créées en 2014 après qu’une loi y relative ait été votée en 2000. Un décret les rattache au ministère en charge du patrimoine culturel, qu’est le Ministère de la Culture. Elles sont installées dans un bâtiment construit dans les années 1930 qui a servi de bâtiment administratif puis d’imprimerie nationale. Ainsi, l’absence de classement et la mauvaise conservation de certains fonds documentaires a entrainé la perte d’informations précieuses. Nous en sommes aujourd’hui à rechercher notre passé, même récent, dans les archives européennes. L’initiative de mise à jour de l’encadrement juridique des archives au Cameroun, par une nouvelle loi votée en juin 2024, ne se situe toujours pas à la hauteur des attentes. Non seulement la cinquantaine d’articles de cette Loi est parsemée de pas moins de dix (10) renvois à des textes règlementaires incertains, mais encore, certaines dispositions interrogent. Le silence sur le rattachement tutélaire de l’organisme en charge du système national d’archivage est un vide qu’il faut combler. D’ailleurs il nous parait nécessaire, compte tenu de l’importance des archives, que la loi oblige le Gouvernement à présenter devant le Parlement, un rapport annuel sur la tenue des archives nationales. Le fait est qu’il faut restructurer les archives nationales et y affecter des moyens conséquents, notamment pour les équipements de conditionnement, de conservation et de classement et la construction d’enceintes modernes, répondant aux standards, sécurisés et permettant une conservation optimale des archives. De plus, le développement de l’archivage et de la documentation entraîne la création d’emplois et une sécurisation des documents et informations. De même, la mise en place d’un système sécurisé et centralisé des documents contribuera à la lutte contre le terrorisme. Ici, l’impératif de numérisation incombe à l’État.
Kjj : - Le Cameroun affronte son lot de menaces qui rôdent autour de l’Afrique : la crise dans les régions anglophones au Nord et Sud-Ouest du pays, le mouvement Boko Haram à l’Extrême-Nord, la porosité de sa frontière Est avec la Centrafrique, la fragilisation du bassin de Lac Tchad via le Tchad et le Niger qui le rattachent aux problématiques sahéliennes… le contexte politique interne très tendu à l’approche d’une fin de cycle, bref, une position centrale, et en Afrique centrale, qui appelle une réflexion profonde de quiconque envisage de se porter à la direction de ce pays en ligne de mire de la grande prédation internationale… Quelle est votre approche de la sécurité et de la diplomatie du Cameroun dans un contexte géostratégique aussi délicat ?
Cabral Libii : La défense, c’est une lapalissade, est principalement assurée par l’armée. Et s’il pouvait exister le moindre doute sur la fonction protectrice de l’armée, il suffirait de relire les stipulations identiques de l’article 1er de la loi n°67/LF/9 du 12 juin 1967 portant organisation générale de la défense et l’article 2 du décret n°2001/178 du 25 juillet 2001 portant organisation générale de la défense et des états-majors, qui assignent à l’armée la mission d’ « assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes formes d’agression, la sécurité et l’intégrité » de notre Etat. Ainsi, en l’inscrivant dans l’étroit prolongement de notre vision de l’intégration nationale, nous voulons donner à l’armée une place de catalyseur de patriotisme. Dans l’optique de fédérer les communautés, le premier « lien fédéraliste» doit être l’armée car c’est en son sein que se forge la cohésion nationale et l’amour indéfectible de la patrie, qui sont les premières armes de défense nationale. L’armée doit concurrencer ou supplanter les Lions Indomptables du football, dans les cœurs des camerounais. Notre objectif est donc de faire passer de la déclamation à l’effectivité, la philosophie de défense populaire.
En d’autres termes, l’armée doit assurer l’intégrité du territoire national, protéger les populations contre les agressions armées, contribuer à la lutte contre toutes formes de menaces, concourir à la sécurité collective et à la défense de la paix dans le cadre sous-régional et régional, créer un lien affinitaire avec le peuple. Ceci entraîne, au-delà de l’augmentation du budget et de la nécessité d’équipements modernes, un recrutement massif et contrôlé de jeunes dans les forces diverses, ainsi qu’un recrutement massif de réservistes. Pour ce faire, le service militaire doit être obligatoire dès 16 ans, car qu’on le veuille ou non, c’est au sein de l’armée que les vertus tout au moins de discipline et de respect, sont les mieux enseignées.
Notre objectif étant d’augmenter les effectifs de nos forces armées pour atteindre un effectif d’au moins 100.000 hommes. Il convient de rappeler qu’en 2019 les effectifs des forces armées Camerounaises ne sont estimés qu’à 30.000 Hommes environ, ce que nous trouvons insignifiant au vu des enjeux sécuritaires du monde moderne, et notre intention manifeste de bâtir dans le golfe de guinée, une armée puissante. Cette réserve opérationnelle se substituera le cas échéant aux comités de vigilance sans formation ni matériel adéquat, qui souvent font face aux terroristes super entraînés et lourdement armés.
Il faut mettre sur pied une technologie de communication entre toutes les forces armées et de sécurité y compris les gardiens de prisons, qui permettra une meilleure coordination des forces sur le terrain. Cette technologie permettra à tous les corps, de pouvoir communiquer entre eux à coût zéro. C’est-à-dire qu’un militaire pourra désormais communiquer avec son camarade policier, gendarme ou gardien de prison à temps illimité sans toutefois subir le moindre coût et ceci vice versa. Il sera désormais possible au Ministre de la Défense, au Chef d’État-major des Armées, au Secrétaire d’État à la Défense chargé de la Gendarmerie, au Délégué Général à la Sûreté Nationale et à l’Administration Pénitentiaire de lancer un mandat de recherche inter-agence, il suffira juste d’émettre un message porté dans le système mis en place et tous les corps seront informés en temps réel. Ce système que nous baptisons GFTS (Global Fire Telecommunication System) permettra à nos forces de défense et de sécurité de remonter les informations du terrain en temps réel vers le haut commandement pour une prise de décision immédiate.
Il urge de rénover les centres d’instruction de nos forces de défense qui près de 60 ans après l’indépendance, conservent toujours l’image coloniale avec une architecture dépassée et une technologie archaïque ne répondant plus aux aspirations des armées modernes. L’armée doit donc être dotée d’équipements d’entraînement, car, les forces spéciales ne disposent toujours pas de camps spécialisés d’entraînements, d’aéroports d’entraînements, d’infrastructures appropriées pour leur mise en forme ou de matériel spécifique. L’Unité Spéciale de cyberdéfense qui doit être créée, viendra concilier le principe établi de la souveraineté nationale avec la réalité transfrontalière de l’internet afin de sanctuariser l’internet camerounais.
Concernant la Diplomatie, il faut dire qu’elle n’est plus seulement l’art pour les Etats d’entretenir des relations entre eux à travers le dispositif classique des missions diplomatiques et des postes consulaires. Elle est aujourd’hui la marque de la personnalité de l’Etat sur la scène internationale à l’exemple de la digital diplomacy, diplomatie 2.0, ou de la e-diplomacy, influençant le comportement diplomatique des Etats et apportant des éléments de modernisation à la communication par le canal diplomatique classique. À l’ère postmoderne les codes et coutumes de la diplomatie s’adaptent à la globalisation des problèmes (terrorisme, pandémie du SIDA ou du COVID 19, l’environnement, etc.), qui démontrent très souvent les limites ou alors le caractère non opérationnel des dispositifs diplomatiques mis en place (par exemple la réaction de l’union européenne face à la pandémie du Coronavirus où les Etats ont en fait réagit seuls face à la quasi apathie de l’UE).
Si les dispositifs de la diplomatie mondiale restent intangibles, leur animation nécessite des mécanismes d’alerte, de proactivité dans des actions plus multilatérales qu’unilatérales aujourd’hui, car les effets d’échelle et de contagion se posent avec acuité dans un monde ou la mobilité, l’accès aux ressources et la multiplication des pôles de rapports de forces s’exercent avec acuité à l’ère postmoderne. La diplomatie camerounaise, après les atermoiements post indépendances, pour former et responsabiliser des fonctionnaires camerounais en charge de l’exécution de la politique étrangère, c’est par le Décret Présidentiel n° 60-9 du 19 janvier 1960 qu’est créé le Ministère des Affaires Etrangères (MINAE), qui sera le pivot central de la politique étrangère du Cameroun et le creuset du personnel diplomatique, relevant du domaine réservé du Président de la République. Dans le système diplomatique camerounais, le corps des diplomates reçoit ordre directement du Président de la République, à telle enseigne que son fonctionnement quotidien est tributaire de la décision présidentielle au même titre que sa gestion. Cette singularité a été reconnue par le décret n° 75/773 du 18 décembre 1975, portant Statut particulier du corps des fonctionnaires de la diplomatie et son modificatif de 1977. Incroyable qu’un décret de la période de la guerre froide continue à organiser en 2024 une profession à l’ère de la mondialisation et en proie aux défis multiformes et complexe de la diplomatie postmoderne dont nous avons parlé plus haut.
Le Cameroun a souscrit au niveau international à l’ensemble des règles encadrant l’activité diplomatique, dont la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques est un instrument fondamental. Le Cameroun a réussi depuis 1960 à densifier le personnel diplomatique, à en former depuis 1971 avec l’Institut des Relations Internationales qui a fêté ses 50 ans en 2021 au service de la formation diplomatique pour le Cameroun et l’Afrique (car des diplomates de diverses nationalités y sont aussi formés). Notre pays dispose donc d’une masse critique de diplomates qualifiés, mais malheureusement la diplomatie camerounaise dite « de présence effective » manque fondamentalement de visibilité, sur les questions régionales, africaines et mondiales. Les raisons tiennent essentiellement à l’architecture du dispositif, au processus de décision et à la dépendance inextricable de la volonté du Chef de l’Etat même dans les mesures où l’on peut le décharger de quelques responsabilités. La réforme de cette diplomatie camerounaise pour l’arrimer aux exigences de la modernité devra porter sur la gestion des hommes, la restructuration du dispositif diplomatique et la doctrine diplomatique du Cameroun.
Au sujet de la restructuration du dispositif diplomatique Camerounais, en dehors de l’Europe et l’Asie dont la couverture est acceptable et compréhensible, nous constatons que certaines zone comme l’Amérique du Sud n’ont qu’une seule représentation diplomatique (Brésil), malgré l’étendue, on pourrait y ouvrir un consulat (selon la densité de la représentation des camerounais) et un autre au Canada pour absorber la masse critique des camerounais. En Afrique la technique des accréditations multiples démontrent ses limites, car beaucoup de représentation n’ont pas les moyens de couvrir les différents pays pour lesquels ils ont été accrédités, en Afrique de l’Est en dehors d’Addis-Abeba (Ambassade et représentation auprès de l’UA), et le Consulat du Cameroun au Kenya à Nairobi, on pourrait aussi penser rapidement à une Ambassade au Rwanda qui devient un hub économique dans la zone ; l’Afrique australe enfin, ou le Haut-commissariat d’Afrique du Sud couvre une douzaine de pays, sans la possibilité de régler les problèmes des camerounais dans les différents pays, on pourrait penser à une Ambassade et un Consulat dans les pays comme l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe, la Zambie, pour mieux encadrer les camerounais très nombreux dans cette zone d’Afrique australe.
Enfin au sujet de la doctrine diplomatique, la réforme devra faire migrer la diplomatie camerounaise de la « diplomatie de présence effective » à une « diplomatie d’action et de proaction » avec l’Afrique centrale comme pôle de domination, car en cette année 2024, dans les organisations sous régionales (CEMAC, CEEAC, etc.) et régionale (UA, etc.), la diplomatie camerounaise n’est pas vraiment visible, les camerounais ne sont pas à des postes stratégiques. Même à la CEMAC ou notre pays peut jouer le rôle de pivot de l’intégration régionale, nous sommes encore bien timide. La participation du Chef de l’Etat dans les sommets qui compte est aussi une question à relever, il est important pour marquer l’espace, que le Chef de la Diplomatie en personne soit à la tête de la délégation camerounaise en vue de participer à des sommets essentiels comme le sommet extraordinaire de la CEMAC, cela pour pérenniser la position centrale de notre pays et éviter que des décisions soient prises en notre absence qui parfois nous pénalise. Si l’on peut se féliciter pour l’année 2024 de deux victoires diplomatiques d’envergure à savoir l’ex-Premier Ministre Philemon YANG au perchoir de l’Assemblée générale de l’ONU et le Député Hilarion ETONG à celui de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF), il y a lieu de repositionner la diplomatie camerounaise. Les Ambassades doivent devenir de véritables postes avancés de notre expansion économique, industrielle, commerciale et culturelle. La taille de notre diaspora (entre 5 et 6 millions d’âmes), doit devenir un véritable avantage comparatif au travers des mécanismes de financement et d’accompagnement.
Kjj Media : - Que dit Cabral Libii à la diaspora, à la double nationalité, au mouvement panafricain qui postule, après Diop et Nkrumah, que rien ne sera possible à l’Afrique sans unité culturelle et politique ?
Cabral Libii : Pour nous, la diaspora camerounaise, constituée officiellement de plus de 5 millions d’âmes selon les chiffres officiels, est un levier de création de richesses. Toutefois, la préoccupation première lorsqu’on l’évoque, est celle de la nationalité. En effet, il est inconséquent de prétendre à une nation lorsqu’une nationalité d’emprunt prive les citoyens de la pleine jouissance de leur essence. Lorsque le Code de la nationalité est adopté en 1968, l’objectif proclamé est l’uniformisation de l’ordonnance n° 59/66 du 26 novembre 1959 en vigueur au Cameroun Oriental et du British Nationality Act de 1948 qui régissait la matière au Cameroun Occidental. Et pour un État ayant accédé à l’indépendance de haute lutte, la nationalité était précieuse. Mais c’était malheureusement aussi une arme politique. Car le Gouvernement d’alors s’octroyait aussi un dispositif légal pour « tenir en respect » tous ces camerounais que son autoritarisme avait contraint à l’exil. Soucieux de les y maintenir définitivement, il subordonna par la même loi, la réintégration de nationalité au décret présidentiel. Le « pouvoir de 1982 » de Paul BIYA qui a régulièrement fait face à l’étranger aux « lanceurs de tomates, d’œufs et de piments » et même à des « brigades » hostiles, ne s’est pas senti obligé de se départir avec empressement de cette « arme préventive ». Ce qui est totalement absurde. De plus, le retour démocratique progressif n’a pas véritablement affaibli le désir d’expatriation. À l’autoritarisme d’antan, s’est substituée rapidement la pauvreté. La pression vers l’ailleurs que celle-ci exerce, est visiblement plus forte… Le nombre de camerounais établis à l’étranger est devenu impressionnant, proche du quart de la population entière. Ainsi, de nombreux camerounais partis « se battre » ou tirer profit de leurs compétences souvent niées ou ignorées chez eux, choisissent-ils pour s’intégrer facilement dans ces pays où ils se rendent utiles, d’acquérir la nationalité d’accueil. Doivent-ils pour autant perdre leur nationalité d’origine ? La logique veut que le pays qui ne refuse pas le fruit de l’expatriation de ses enfants les accepte eux- mêmes. Le contraire n’est qu’injustice. La diaspora camerounaise par son dynamisme est devenue un facteur de rayonnement et de développement. Notre diaspora n’est pas un danger, mais une opportunité. C’est un levier de développement dont il faut distinguer tous les visages afin de lever les amalgames et pour lequel il faut des aménagements institutionnels spéciaux tel qu’un guichet unique pour capter et canaliser les énergies d’investissement et une politique pensée du rayonnement du camerounais à l’étranger par l’accompagnement multiforme des expatriés entrepreneurs, là où ils se déploient. Les banques chinoises et maghrébines attestent de cette approche. La révision du Code de la nationalité pour instaurer la pluri nationalité, en plus de la double- nationalité accordée aux camerounaises qui épousent les étrangers, devient un détail dans la dynamique de capitalisation des compétences, savoir-faire, expertises et capitaux que charrient nos compatriotes établis à l’étranger tout en leur permettant d’y produire davantage. Très peu de pays dans le monde se prévalent d’un volume de leur diaspora analogue au nôtre.
Les réserves émises par certains, relatives à la nécessité de contention de la mondialisation qui vide les frontières des États fragiles de toute leur consistance en s’attaquant au dernier rempart d’invulnérabilité et d’identité nationale qu’est la nationalité, perdent en pertinence devant les choix sous-régionaux et régionaux d’intégration. À bien y regarder, les « vraies » frontières de l’Afrique sont en train d’être reconstruites grâce aux sous-régions. Ce qui donne au fédéralisme communautaire, une dimension et une vocation continentales. Le chantier n’en est donc qu’à son entame. La protection de notre identité, nous l’avons démontré, ne réside pas dans le droit de la nationalité, mais dans le droit culturel et la promotion de ce qui nous singularise en tant que peuple en interaction avec le monde. En plus d’être un vecteur économique et industriel, la diaspora est une vitrine de la richesse culturelle camerounaise. De ce point de vue, elle constitue un relais essentiel dans la promotion et la diffusion d’un modèle de société multiculturel et multilingue. Quels sont les meilleurs ambassadeurs de l’identité camerounaise à travers le monde, si ce ne sont nos artistes musiciens (Manu DIBANGO, WEST MADIKO, Sally NYOLO, etc.) nos écrivains (Gaston KELMAN, Francis BEBEY, Mongo BETI, Achille MBEMBE, etc.) ? nos intellectuels tel que le Directeur de publication de cet organe de presse (Gabriel MBARGA) ? La culture camerounaise peut contribuer significativement au relèvement de notre Produit intérieur brut (PIB) si nous y mettons le prix qu’il faut. Il y a, dans notre diaspora, une demande en ressourcement culturel considérable. Quel camerounais de la diaspora n’aimerait pas offrir à sa progéniture une expérience culturelle en immersion virtuelle, surmontant l’obstacle des distances géographiques ? Quel Camerounais de la diaspora, naturalisé dans sa terre d’accueil ou non, n’aimerait pas faire acquérir à sa progéniture, les rudiments de sa langue ancestrale ? Ce sont là autant de produits marchands et de rayonnement stratégique pour lesquels notre diaspora constitue une cible privilégiée, autant qu’un relais préférentiel. La culture se vend mieux que n’importe quelle matière première et beaucoup de peuples l’ont compris et y investissent massivement. Pour le redressement du Cameroun et l’atteinte des objectifs industriels, le recours à la diaspora nous semble déterminant. De nombreux compatriotes se sont hissés par leur talent et leurs compétences à des niveaux de responsabilités qui leur permettent d’accumuler des connaissances et une expérience qui nous permettra de gagner un temps précieux lorsqu’ils se seront investis dans leur pays natal, dans divers domaines où nous manquons d’expertises. Beaucoup d’autres ont réussi à gagner la confiance de puissants investisseurs qu’ils peuvent orienter vers leur pays. Pour ces cas, il sera emménagé un guichet diaspora chargé de recevoir d’une part les compatriotes porteurs de projets d’investissements propres ou aiguilleurs d’investisseurs, afin de leur offrir un cadre d’accueil attractif, rassurant et facilitant les procédures. Dans l’optique même de modernisation du secteur public, l’accélération du changement des mauvaises mentalités héritées de plusieurs décennies de corruption et d’incurie, passera aussi par une nécessaire injection de compétences fraîchement issues d’environnements de performance, de discipline et éthiques. Quant aux compatriotes entrepreneurs hors de nos frontières, charge sera donnée aux représentations diplomatiques de les identifier et de les enregistrer dans le but de leur offrir en permanence et avec diligence, l’accompagnement de leur patrie. Dans ce cadre, la B2I (Banque d’Industrialisation et d’Investissement) que nous comptons mettre sur pied, ouvrira au besoin et dans la mesure du possible des agences à l’étranger pour faciliter l’accès au financement.
S’agissant de la place du panafricanisme, pour rappel, le panafricanisme est né au début du XXe siècle dans les milieux intellectuels afro-américains et antillais dans l’optique d’unir les Africains et les descendants d’Africains hors d’Afrique, dans un même sentiment de fierté pour le passé et les valeurs africaines. Plusieurs congrès panafricains ont alors favorisé l’émergence d’un mouvement politique africain dont le leader le plus emblématique a été le Ghanéen KWAME NKRUMAH, père fondateur de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Ainsi, le panafricanisme s’est inscrit dans son évolution sur deux trajectoires : un mouvement intellectuel et politique entre Africains et Afro-Américains qui considèrent ou ont considéré les Africains et les peuples d’ascendance africaine comme homogènes ; un ensemble d’idées qui ont mis l’accent sur l’unité culturelle et l’indépendance politique de l’Afrique.
Après les indépendances, force est de constater que le souffle panafricaniste de la lutte politique s’est quelque peu émoussé sur le continent africain. L’OUA devenue l’UA, s’est davantage investie à construire une coopération africaine qui se heurte à la double faiblesse de son insuffisante inclusivité et de l’insuffisante volonté politique des chefs d’Etats. En effet les craintes du savant et visionnaire sénégalais Cheick ANTA DIOP se sont confirmées au fil de l’histoire. Il redoutait la prolifération d’États microscopiques voués à la dictature et à l’impuissance politique et économique. En effet, notre continent ressemble aujourd’hui à ce qu’il redoutait en ces termes : « à un cul-de-jatte appuyé sur des béquilles confectionnées à l’étranger, souffrant de faim, de maladies, d’ignorance, de démographie galopante. Et sur lequel la communauté internationale, qui n’est évidemment pas tout à fait étrangère à ces malheurs, se penche avec horreur, dérision ou condescendance ». En fait, la méthode corrective que nous voulons appliquer à la forme de l’Etat au Cameroun vaut également pour le continent africain entier. Ce dont le Cameroun a souffert à l’échelle micro est sans doute la conséquence du saucissonnage intéressé de la Conférence de Berlin (1884-1885) au cours de laquelle une poignée de pays impérialistes européens s’étaient partagés l’Afrique comme un gâteau. La situation n’est pas insurmontable. Pour ce faire, un ouvrage doit servir de source d’inspiration politique, c’est celui de Cheick ANTA DIOP, publié en 1974 et intitulé : Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire. Pour nous l’idée d’une entité fédérale africaine n’est donc pas chimérique. C’est même l’objectif que nous nous fixons pour l’Afrique. Le Cameroun devant nous servir de rampe de lancement. La première étape réside en une coopération politique, économique, monétaire, commerciale et culturelle étroite entre gouvernements politiques partageant la même vision, qu’ils soient voisins ou pas. Il ne fait l’ombre d’aucun doute à ce jour, qu’il y a une soif africaine d’un bloc africain. C’est une responsabilité qui incombe aux nouvelles générations politiques, celle consistant à développer une vision commune et une approche cohérente. En effet, comme le disait le savant sénégalais C.A. DIOP « l’idée de fédération doit refléter chez nous tous, et chez les responsables politiques en particulier, un souci de survie, au lieu de n’être qu’une expression démagogique répétée sans conviction du bout des lèvres ». Un Etat unitaire africain nous paraît utopique désormais. En revanche, la démarche réaliste consistant d’une part à laisser à chaque pays le soin de s’affirmer et de définir son identité, et d’autre part à encourager la consolidation des regroupements étatiques par affinité géographique, économique, idéologique ou stratégique, posera solidement les jalons d’un fédéralisme africain. Il n’y plus aucun doute sur le caractère irréversible de la globalisation du monde. A l’échelle du continent africain, nous devons passer du dogmatisme étato-centrique ou natio-centrique au fédéralisme africain. C’est le lieu de rappeler qu’historiquement, les anciens ignoraient la notion même d’Etat. Les grecs l’appelaient « politea », et les romains l’appelaient « civitas ». Ce sont les chercheurs modernes qui ont en effet introduit l’expression « cité-Etat » dans le lexique politique. Cette entité est donc aussi dépassable, ce d’autant que l’évolution des formes d’organisation de la vie politique montre, qu’au cours de l’histoire, la dimension des communautés s’est élargie constamment de la cité, à l’État national, puis à la fédération d’États. Il est possible dans une perspective plus ou moins longue, que ce processus atteigne son apogée par une fédération mondiale. L’Afrique dans cette perspective doit donc être avant-gardiste. Le modèle fédéral, articulant la souveraineté sur plusieurs niveaux de gouvernement, du niveau local au niveau africain, semble le plus approprié pour occuper une place de choix dans l’évolution inexorable du monde vers la globalisation. Ainsi, la ligne d’arrivée du processus ne sera pas un Etat africain, mais plutôt une fédération des différentes organisations internationales africaines. La fédération africaine doit donc être conçue comme une structure multiniveau, une fédération de sous-régions. Les sous-régions seront des fédérations d’Etats, les États des fédérations de régions comme au Cameroun. Qu’on le veuille ou non, face aux défis du développement, d’insécurité ou d’écologie, l’État national, qui attribue le pouvoir de décision ultime à un centre unique, est trop petit pour les grands problèmes, et trop grand pour les petits problèmes. MERCI.
Interview réalisée entre le 25 septembre et le 04 octobre 2024
Par Gabriel Mbarga
Directeur de publication
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