PEUT-ON TROMPER LA VIGILANCE D’UNE NATION LORSQUE CELLE-CI EST INEXISTANTE ?
Toute guerre est fondée sur la tromperie . Cela est valable pour toutes les
guerres conventionnelles, mais également pour la guerre psychologique, la
guerre de l’information, la guerre économique et la guerre cybernétique.
Aujourd’hui ces différentes formes de guerres sont intégrées dans les dispositifs
militaires des armées. Parallèlement à l’existence des armées régulières
nationales, les États ont également recours à des armées irrégulières tout aussi
bien structurées et organisées.
Depuis la mise sur agenda de sa politique impériale, élaborée progressivement
depuis la période des grandes découvertes, vis-à-vis de ce qu’on appelle
aujourd’hui « le Sud Global », les puissances impériales occidentales ont
élaboré une division du monde en catégories raciales adossées à une division
internationale du travail à l’échelle planétaire. Dans le cadre de cette politique,
les africains catalogués dans la race noire devaient constituer la dernière des
races, et travailler gratuitement pendant plusieurs siècles pour la race
supérieure : la race blanche.
Depuis la conférence de Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 le
continent africain est devenu la zone d’influence privilégiée du monde
occidental, pourvoyeuse de matières premières à très bas prix.
Le maintien de cette influence ne peut être garanti uniquement par la force
militaire, autrement dit par la force brute. Afin de prolonger ad vitam cette
influence, le recours au pouvoir feutré, dans lequel excelle l’occident, est une
nécessité absolue.
Parmi les luminaires du continent africain à l’époque des luttes pour les
indépendances, certains leaders avaient tout de suite perçu la menace que
pouvait représenter le pseudo toilettage opéré au cœur de la « white supremacy
» face à la volonté d’indépendance des populations africaines.
Aux yeux du père de l’indépendance du Ghana, Kwame Nkrumah, le
néocolonialisme occidental représentait le plus grand danger auquel faisait face
le continent noir : c’est toujours le cas aujourd’hui.
Dans le chapitre consacré à l’analyse du néocolonialisme en Afrique, de son
livre Africa Must Unite, Nkrumah décrit celui-ci et son instrument majeur, la
balkanisation de l’Afrique : « Tout cela fait partie de la politique dont la
volonté est la balkanisation de l’Afrique afin de manipuler celle-ci par le biais
du néocolonialisme, qui dans les faits peut être plus dangereux pour des
aspirations légitimes à la liberté et à l’indépendance économique qu’un
contrôle politique déclaré...La forme prise par le néocolonialisme en Afrique
aujourd’hui revêt certains de ces traits . Il agit à couvert, manœuvre hommes et
gouvernements, libéré des stigmates attachés à la domination politique. Il crée
des États clients qui se disent indépendants, mais qui dans la pratique sont les
pions de ce même pouvoir colonial dont ils sont censés tenir leur indépendance.
»
La nécessité d’une indépendance dans le domaine du renseignement.
L’indépendance politique des États d’Afrique est sans conséquences si cette
dernière n’est pas adossée à une indépendance militaire, économique et
diplomatique.
Durant toute la première année de son engagement dans la seconde guerre
mondiale, l’armée des États-Unis d’Amérique ne disposait pas d’un service en
mesure de lui fournir des renseignements pour mener à bien ses opérations
militaires dans le Pacifique et sur le continent européen : elle a dû dépendre
entièrement des services de renseignements britanniques. En dépit de la
création de l’Office of Strategic Service en 1942, ancêtre de la CIA, les
autorités américaines ont jugé nécessaire de doter le ministère de la défense US
de son propre service en matière de renseignements, la Defense Intelligence
Agency : preuve s’il en est qu’au sein des services d’un même Etat, le souci «
d’indépendance » en matière de renseignement est jalousement entretenu.
Ce souci d’indépendance fait cruellement défaut au sein des États africains.
Ces derniers disposent souvent d’un appareil sécuritaire tourné vers la
surveillance des opposants politiques, considérés comme représentant une
potentielle menace pour les régimes en place. Tandis que la surveillance du
territoire en vue de collecter du renseignement et protéger l’intégrité de celui-ci
est tributaire des renseignements fournis par les puissances occidentales.
A l’instar du royaume d’Arabie Saoudite qui a eu recours aux satellites
américains afin de savoir ce qu’il se passait à sa frontière avec l’Irak de
Saddam Hussein, les pays africains sont placés dans un total état de dépendance
des services occidentaux, en matière de renseignements vitaux pour leur
sécurité nationale.
C’est en raison de cette dépendance que l’Arabie saoudite, longtemps opposée
à l’installation d’une base militaire américaine au sein même du berceau de
l’islam, va, pour la première fois de son histoire, accepter l’installation de
l’armée américaine sur son territoire, face à l’hypothétique menace de
l’invasion du Royaume par l’armée de Saddam Hussein, brandie par les photos
satellites fournies par les USA.
L’absence d’autonomie en matière de renseignement peut entraîner la
soumission d’un territoire à une puissance étrangère, sans besoin de contrainte :
« Ainsi ceux qui sont experts dans l’art de la guerre soumettent l’armée ennemi
sans combat. »
Afin de sécuriser l’approvisionnement des USA en matières premières
stratégiques, la CIA n’hésite pas à recourir aux méthodes du crime organisé : «
j’encourage, en cachette, des troubles dans ton pays. Au vu des résultats, je sais
que tu as peur. Je viens alors à ton secours, pour te proposer mon assistance
afin de lutter contre le racket dont tu es devenu la victime. Tu tiens à ta
tranquillité et à ta prospérité. Tu vas me payer généreusement et, dès lors, je
vais te protéger très...efficacement » . Grace à cette méthode les USA ont
facturé leur protection du royaume d’Arabie Saoudite par l’affermage des 30%
des réserves mondiales de pétrole détenues par les Saoudiens.
Les Etats disposant de moyens de surveillance développés fabriquent aussi de
toutes pièces « des menaces imminentes » pour envahir un territoire, ou
éliminer la concurrence d’une puissance étrangère gênante.
L’ancien officier et archiviste au sein du PGU (première direction générale du
KGB), Vassili Mitrokhine, passé au Royaume-Uni à la fin de la Perestroïka, à
l’origine des fameuses archives Mitrokhine, affirme que plusieurs mesures
actives menées par le Service A à l’encontre des leaders africains dans les
années soixante, ont permis de manipuler ces derniers par l’utilisation de faux
documents, tels que dans l’opération « ANDROMEDA » en 1973 au Nigeria.
Depuis la période des razzias négrières le continent noir est engagé dans une
guerre tous azimuts qui ne connaît aucun répit. La réalité africaine est masquée
par un voile sans cesse renouvelé par ses promoteurs néocolonialistes.
Ce voile est beaucoup plus sophistiqué que celui des siècles derniers, puisqu’il
inclut à l’ère de l’information, la guerre de l’information, la guerre
cybernétique dopée aux stéroïdes de l’intelligence artificielle.
Néocolonialisme et guerre de l’information
L’immense majorité des africains, tout comme les populations occidentales,
s’informent sur le monde et sur eux-mêmes à travers les médias occidentaux,
détenus parfois par des multimilliardaires controversés (Jeff Bezos, Elon Musk,
Vincent Bolloré...). Contrairement à ce qui a prévalu dans le passé, l’opinion
publique n’est plus façonnée uniquement par la presse écrite et les journaux
télévisés : elle est désormais façonnée par le cinéma, les séries TV et les
réseaux sociaux.
Jeff Bezos est à la fois le patron de Blue Origin, le propriétaire du Washington
Post et du mythique studio de cinéma MGM, réalisant la deuxième acquisition
la plus chère d’Amazon : son entreprise a signé plusieurs contrats avec le
gouvernement américain dans des domaines sensibles, y compris la conquête
spatiale. Elon Musk, l’afrikaner devenu citoyen américain qui a bénéficié du
juteux contrat Artemis 3 avec la NASA, est à la tête de Twitter et de Space X.
Quant à Vincent Bolloré, propriétaire de Vivendi, il dispose de Canal+, il a
racheté Dailymotion en 2015, il contrôle Europe1, Voici, Femme Actuelle, Geo,
Télé-Loisirs, Capital, Hachette le n° 1 de l’édition en France et le deuxième
plus important groupe d'édition français (Editis), et enfin il dispose du contrôle
du groupe Lagardère (armement et médias).
Ce monde des médias, aux États-Unis, entretient des relations incestueuses
avec le monde du renseignement depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Selon le professeur d’histoire Gaddis Smith, de l’université de Yale, ce fleuron
de l’enseignement supérieur faisant partie de la Ivy League a influencé
l’Agence Centrale de Renseignement plus que n’importe quelle autre
institution .
C’est cette proximité qui va permettre à la CIA de recruter dans les hauts lieux
du savoir, les universitaires qui vont servir de fer de lance dans sa guerre
secrète, en vue conquérir les esprits en Europe et dans le monde. Ce
programme ultra confidentiel de propagande culturelle, mis en place durant la
guerre froide, a mobilisé d’importantes ressources financières et humaines à
travers 35 pays, à travers l’important réseau du Congress for Cultural Freedom.
Ce réseau de la CIA rassemblait à la fois des universitaires, des journalistes de
magazines prestigieux, des personnes issues du monde des affaires et des
milieux artistiques, avec pour objectif la préservation et la promotion des
intérêts de la politique étrangère US dans les pays ciblés.
Le renseignement américain va étoffer ce dispositif en exerçant une subtile
influence dans le cinéma et le champ journalistique, permettant au « Soft Power
» US d’avoir une envergure planétaire.
La France n’est pas en reste dans ce domaine. L’ancien directeur adjoint de
Paris Match, spécialiste des questions militaires (son père était le directeur de
l’École des applications militaires de l’énergie atomique) et actuel directeur de
la rédaction du média d’extrême droite Omerta, Régis Le Sommier, affirme
calmement sur la chaine Cnews de Vincent Bolloré : « Les africains sont en
train de nous échapper ».
Afin d’aller reconquérir le cœur des africains le président macron a martelé la
nécessité qu’il y avait pour la France de réunir les moyens dont elle dispose et
les déployer sur le continent et sa diaspora, le réseau des Instituts Français en
Afrique, France 24, TV5 Monde, Brut Afrique, RFI, les artistes et universitaires
africains « subventionnés » par Paris. N’hésitant pas à exceptionnellement
laisser tomber veste et cravate, il a personnellement tenu à se rendre dans le
haut lieu de la musique et de la culture africaine, et esquisser des pas de danses
dans le fameux Shrine de Fela Kuti, à Lagos, au Nigéria, la première puissance
démographique et économique du continent noir : devenant par la même
occasion le premier président français à se rendre dans ce pays. Il a renouvelé
cette habile opération de séduction, en se rendant dans un bar à Bandal, un
quartier populaire de Kinshasa, en compagnie de la star congolaise de
renommée internationale, Fally Ipupa.
Les autorités françaises sont conscientes de l’importance et de l’impact de ce
pouvoir feutré. Après la sortie en novembre 2022 de Black Panther : Wakanda
Forever, montrant des soldats français arrêtés en flagrant délit de pillage des
ressources d’un royaume fictif d’Afrique, le ministre des Armées de la
république française s’était indigné de la représentation des soldats français,
qualifiée de mensongère et trompeuse .
Les pays africains ne doivent pas demeurer passifs devant la volonté des élites
occidentales, favorables au maintien du statu quo néocolonialiste, manifesté à
travers leurs médias.
Par OKEMBA M'OTSANGOU
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